Joël Hamm: Passage de la révolte

Publié le par magali duru





(mariage à Saint-Pétersbourg photo Anaïs Hamm)




   Un beau matin, notre image ride le miroir. Des songes durs, cailloux noirs, crèvent la surface lisse, propagent l'onde augure de nos vies lasses. Nous comprenons que nos cellules de chair, aveugles matrices, dupliquent sans répit l'imparfaite copie, le pâle fantôme de leurs atomes, que la vie reprend ses doigts, crispés dans nos cœurs, coincés dans nos machines, les rouages rouillés de notre corps.

   Notre sang caille sous ses ongles taillés. Entre les barreaux scellés de notre cage, file son souffle gelé. Nous, derrière la porte, assis et poussière sous la lumière crue, unique en notre cellule nue, glacée la nuit venue, nous espérons l’aube qui chassera les ombres fluentes. Et nous hurlons pour sortir de notre prison d’habitude.


   Nous cherchons la porte, celle de notre enfance où le sel de l'ouest mordait la peinture et traçait un archipel. Récifs, atolls brodés d'écume amande. Calme tempête sous l'or des lichens. Les ronces repoussaient l'assaut de l'ombre, la horde des vents dépenaillait l'huis. Où est cette porte que nous poussions librement, enfants confiants pour passer dans l’autre monde, celui des plénitudes ?

   Aujourd’hui, en file grise, notre tribu soumise défile sous le tunnel droit. Nos murmures glissent sur les carreaux lavés, les bétons, les métaux, les rampes lisses, la pisse en flaques. Devant nous, la nuque rasée de l'aurore. Derrière, un pas lourd, le nôtre. Pressés par nos geôliers internes, parqués dans la cour pavée, nous baissons la tête sous les hauts murs. Nos orbites vides fouillent l'air, cherchent le mince filament rouge "EXIT".

   Il est temps de soudoyer Janus, dieu des commencements et recommencements qui veille sur ce qui a été et ne sera plus, sur ce qui sera autrement. Rien ne nous interdira ensuite de briser la grille du temps résigné, de courir vers la révolte, de rejoindre les affamés, les sans nom, les sans papier, les massacrés, de donner notre force nouvelle aux hommes à la parole troublée qui racontent une histoire de douleur, d'exil. Leur corps à eux ne ment pas. Les gardiens de l’ordre voulaient les maintenir avec des sangles, brûler les traces sur leur peau. Mais l'histoire vraie passe par eux, suspecte, incandescente. La colère les attise. Leur regard est une insurrection.

   Rien ni personne ne peut chasser de sa parole, de son corps battu, un homme qui a subi des traitements spéciaux.
   Les mots sont des armes. Il est temps d’élever nos voix face aux nantis tranquilles et sûrs de leur pouvoir. Ils sont sourds. Il leur faudra des années pour entendre mais rien n'est sûr. Ils ont peur aussi des hommes debout.
   De l’autre côté de cette porte enfin trouvée, évadés de nos crâne, en mal d'illusions fraîches, de peurs nouvelles, nous voici libre, chiens filants, fous de caresses, flairant dans notre cou, le souvenir de la laisse.
Ignorons celle qu'on nous tresse. Jetons notre vérité dans le ventre de l’amour. Effaçons  l'ombre noire du monde.
   On ne nous rattrapera plus.



Joël Hamm





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D
Bah non !
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J
Merci Dominique, personnellement, j'ai l'impression d'écrire toujours le même texte...
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D
Quelle vague de fond ! Qui vous emporte sans vous laisser le temps de comprendre mot à mot le phénomène... J'ai quand même relu 2 fois. Tes "passages" se suivent dans mes lectures et ne se ressemblent pas. Mais ton écriture, pour aussi différente soit-elle, ne faiblit pas.
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A
Je suis d'accord avec ce "terriblement bien écrit". Il y a un moment que je n'avais pas lu un texte pareil. Je te tire mon chapeau, Joël.
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J
Voici au moins quelquechose de rassurant. Merci.
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