Jean Calbrix se fait carrément arranger le portrait
Jean Calbrix a des ennuis. Non seulement ses cadavres n'ont que des misères et se baladent un peu partout dans la nature, mais il aurait mieux fait de ne jamais rencontrer Louise...
(photo M.D)
Les idées ne tournent plus rond dans ma caboche.
Je m’en explique : Fernand est entré chez moi complètement furibard. Il hurlait que j’avais dragué sa femme Louise. C’est complètement crétin, les dondons ne m’ont jamais attiré, oh ça, jamais. C’est ce que je lui ai dit au Fernand quand il m’a attrapé au colback. Alors, il m’a balancé un soufflet, une gifle et une tape. Je me suis reculé et j’ai ajouté, en me frottant les joues, que les gros seins ce n’était pas ma tasse de thé. Là, j’ai eu droit à une baffe, une claque, une calotte et une beigne nettement plus appuyées. La taloche, la torgnole, la tarte, la mornifle et la pecque, je les ai prises en pleine poire après lui voir dit que les grosses fesses molles me laissaient de glace. Mais quand je lui ai dit que je trouvais du plus mauvais goût les petits slips roses avec des petits lapins imprimés, il m’a envoyé un gnon, un marron, un pataouin, un ramponneau et divers autres coups de poing qui m’ont laissé sur le carreau…
J’ai un mal fou à mettre mes idées en place. Elles zigzaguent de gauche à droite, de haut en bas et tout de traviole. Sitôt que j’en saisis une, il y en a deux ou trois qui viennent la percuter et ça repart dans un charivari incessant. Je cherche à savoir ce que je fais à me traîner par terre. Je me relève péniblement en jetant un œil alentour. Je ne sais plus où je suis. Je me souviens vaguement que mon ami Fernand était là devant moi, et puis c’est le trou noir. Tout est chamboulé dans mon citron. J’arrive quand même à fixer une idée : aller me voir dans le miroir de la salle de bain car je sens bien que ma tête n’est plus la même. Je me lève péniblement, je heurte la table, trois chaises et le guéridon où trône… non trônait… le portrait de la tante Ursule, car il vient de tomber dans un grand fracas de verre cassé. Je parviens dans la cuisine en me demandant ce que je fais là. Il y un verre rempli d’eau dans l’évier.
Une bribe de mémoire me revient : je revois Fernand, rouge comme une tomate, entrer chez moi, et je lui tire un grand verre d’eau bien glacée pour qu’il se rafraîchisse. L’image fugace s’efface. Je prends le verre et le porte à ma bouche. Aïe ! Mes lèvres me font atrocement souffrir. L’idée d’aller dans la salle de bain, voir ma tête dans le miroir, revient, expulsant celle de boire. Un quart d’heure plus tard, après un détour par la chambre et la cave où je n’avais rien à y faire, j’y suis enfin. Horreur ! Il y a un type en face de moi, une sorte de zombie, le crâne tout aplati, les oreilles et le nez enfoncés comme des escargots dans leurs coquilles. Je lui tire la langue, il fait de même. Je cligne de l’œil qui n’est pas tuméfié, il cligne lui aussi. Force est de constater que ce n’est pas un autre en face de moi, mais que c’est moi. Et vaguement, me revient la grêlée de coups dont m’a gratifié Fernand. Il m’a salement arrangé le portrait. Pas étonnant qu’avec une telle tête au carré, mes idées ne tournent plus rond dans ma caboche !
Jean Calbrix