Dans la ville rouge sang (III et IV)

Publié le par magali duru

 

Une partie estivale de ping-pong littéraire a abouti à ce mini-polar aux chapitres écrits à tour de rôle par  Dominique Hasselmann et Magali Duru. A vous de plonger "Dans la ville rouge sang" !

 

 


III

 

Etrange, ce n’était pas une voiture de marque française : normalement, dans le service public, on s’équipe, de manière prédominante, auprès des fournisseurs nationaux.

 

Damien sentit qu’il devait se passer quelque chose d’imprévu : les portières s’ouvrirent, des types en costumes gris descendirent du véhicule, ils avaient tous les quatre un petit « pin’s » semblable à la boutonnière. Le cinquième, sans pin’s, à cravate moins sobre, ressemblait au maire de Paris.

 

Je frissonnai : je l’avais souvent vu à la télévision mais il me semblait que l’édile n’était pas « il », on aurait dit un sosie.

Au moment même où Damien allait sortir son arme de la poche droite (et non de la poche revolver) du pantalon, je lui pris le bras :

 

- Ce n’est pas lui, je t’assure, arrête !

- Mais pourquoi ?

- Je te dis que c’est sûr, ils ont mis un autre à sa place !

- Comment le sais-tu ?

- Les oreilles… Je les trouve différentes…

 

Damien tremblait. Il avait failli tirer sur un innocent !

 

Les gardes du corps n’avaient rien vu, le faux maire de Paris continuait d’avancer vers les quelques rares amateurs de bronzette qui, les premiers, avaient pris possession des jeux, pâtés de sable artificiel, transats et chaises en toile destinés à leur faire croire qu’ils étaient au bord de la mer.

 

J’embrassai Damien, lui soufflai dans le cou, collai mes seins contre sa poitrine qui battait fort:

 

- Tu te rends compte, quelle idiotie on aurait commise ! L’assassinat d’un pauvre malheureux, sans doute un intermittent du spectacle, recruté pour encaisser les balles éventuelles d’un tueur fou !

-  Mais au moins, il serait devenu célèbre, dit Damien.

- Tu parles ! « Mort, où est ta victoire ? », comme disait le titre d’un livre de poche que je n’ai jamais lu. Sur sa tombe, on aurait pu graver : « Il passa parmi nous, sa vie fut intermittente jusqu’au bout. »

 


  (photo D.H)

 

Damien restait songeur : son arme n’avait servi à rien, il avait vérifié le bon fonctionnement du barillet en vain. Il s’était même amusé à jouer à la roulette russe (sans approvisionner le magasin, quand même !), et tout ça, pour quoi ?

 

L’inauguration battait son plein. Les télévisions officielles officiaient, les photographes faisaient leur boulot, tout roulait, les journaux de 20 heures montreraient qu’au-delà des polémiques stériles, du clivage désuet entre droite et gauche, gérer une ville était une pure affaire économique et que la politique n’avait pas à y mettre son nez.

 

Damien baissait le sien, de nez. Toujours ce manque de chance, qui ressemblait à l’image de son existence : toujours tomber à côté de la plaque, arriver trop tard, rater l’occasion unique. Comme un dé balancé n’importe comment et qui se perd sous la table du bistrot.

 

 

Je lui susurrai :

 

-  Ne t’en fais pas, on recommencera et on réussira. Notre cible ne peut longtemps se déguiser ainsi, il faut simplement que nous mettions en place un système de surveillance de ses faits et gestes qui nous garantisse que c’est bien lui, et non un leurre, qui va avoir de nos nouvelles !-

- Facile à dire, ma Muse ! Il suffit d’installer une webcam dans son micro, reliée au nôtre, de nous brancher sur sa messagerie, et comme ça, on est au courant de tous ses faits et gestes…

-  Tu plaisantes, chéri, mais.... si on y arrivait ?

 

 

D.H.




IV

 


Je secouai la tête.

Muse ne quittait son lit d’où elle regardait à longueur de journée des téléfilms américains que pour lire au bord de la piscine les pires navets, polars mal traduits, romans d’espionnage bourrés d’inexactitudes paranoïaques promettant la fin du monde pour avant-hier.

Mais elle insista. Elle connaissait quelqu’un. "Tu vas voir, Damien, c’est un pro, je te jure. Tony le Hackeur, qu’il s’appelle". Elle dégaina son portable, sonna une copine, puis une autre, qu’elle missionna pour se débrouiller d’avoir le numéro d’une troisième. "Rappelle-moi now, Steffie, c’est urgent".

Le revolver semblait peser trois tonnes dans ma poche, j’étais nerveux, ne cessais de tirer ma chemise par dessus.

-  Ne restons pas là, Muse, on va nous repérer.

Tu as raison !

Et elle m’entraîna, toujours téléphonant, vers Paris-Plage. Affalés sur deux transats, en faux vacanciers derrière nos lunettes noires, nous n’étions plus personne et je respirai.

 


  (photo D.H.)

 

Muse raccrocha, posa son portable en équilibre sur son estomac, et, tournant son visage vers le soleil avec un soupir de satisfaction, me signifia qu’il n’y avait plus qu’à attendre que Steffie, puis Tony rappellent.

Ce qu’ils firent tour à tour, à midi vingt-neuf, puis midi trente.

A midi trente deux, j’étais plus pauvre, du moins en promesse, de 2 000 euros, dont je fus prié d’aller chercher fissa les 500 premiers au distributeur le plus proche.

Ma carte bleue n’avait pas été plus tôt avalée et recrachée qu’un coursier Pizza Hut à moto s’arrêtait devant le Crédit Mutuel, et sans même couper les gaz ou enlever son casque intégral, me tendait une enveloppe.

J’en sortis une feuille double, vérifiai : c’était bien le planning du Maire pour la semaine. Je fourrai les billets dans l’enveloppe, la rendis au coursier qui démarra, vrombissant comme une grosse mouche, laissant derrière lui mêlé aux pétarades pétroleuses un sillage d’effluves tentateurs, mozzarella, peperoni et anchois.

Je repartis vers Paris-Plage, les jambes flageolantes.

Muse me saisit le bras.

- Alors ?

- Tu es incroyable !

Elle haussa les épaules. Le portable roula sur la conque nacrée de son nombril.

- Je sais. Mais que dit l’agenda du Maire ?

- On verra ça en mangeant. Il me faut une pizza tout de suite.

Je considérai mes mains qui tremblaient :

- Avec un whisky dessus, je crois.

 

 

M.D.


 

(A suivre)

 

 


 

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M
Bon, je continue forcément...
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M
" Ki tu Ki et kan " Gourou mal barré !
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A
Qui tue qui et quand ?
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