Appel à textes Vidéo: Catherine Désormière, 80 degrés le soir.

Publié le par magali duru




80 degrés.



Il faisait si sombre qu'il ne voyait pas ses pieds autrement que reflétés dans les flaques d'eau, sur le trottoir, vaguement irisées par une lumière qui ne venait pas de la clarté des étoiles. Son côté douloureux lançait des fulgurances qui lui faisaient penser à du métal cherchant indéfiniment sa place au creux de sa chair. Et pourtant c'était plutôt le feu qui l'avait percé. Sa bouche sèche laissait s'échapper sa respiration sifflante et il commençait à entendre un son étrange venu du fond de lui-même. Un roulement, comme un reflux de vague sur les galets. Son arme, il la tenait serrée contre lui, alors qu'il avançait au rythme de ses spasmes vers l'autre côté de la ruelle. Dans sa paume humide l'objet était doux, vivant, comme un jouet d'enfant. Au bout, une avenue éclairée de toutes les lumières des restaurants et des bars du quartier. Le trottoir sentait bon la chaleur de l'asphalte révélée par la pluie. Il ne savait pas si c'était sa jambe gauche qui faiblissait ou seulement sa position courbée qui le ralentissait. Bizarrement il se mit à penser à Melody Nelson. Il n'aurait su dire pourquoi. Condition sine qua non... Il espérait voir une Rolls passer là-bas, pas si loin... Une fille rousse tout en jambes... "Tu délires mon vieux" se dit-il. Cette idée transforma sa transpiration en glace dans son dos. Il tomba avant d'arriver au bout de l'allée. La main crispée, recroquevillée sur sa caméra video qui commença à ronronner. La cassette tournait doucement quand on le découvrit. Et sur l'écran du moniteur de la police, on vit toute une nuit de pluie, de lumières fugitives, la rue à 80 degrés que cachait un peu sur le côté un morceau d'étoffe d'une veste qui tremblait.


Catherine Désormière


On peut retrouver Catherine sur son blog Qui parle ? 

Et se donner le plaisir de relire ce texte en écoutant le grand Serge...
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K
J'aime le court, très court : superbeJe n'ai toujours pas vu cette fichue vidéo !
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D
Un "court" noir et dense, fort comme un expresso... du soir. Une obscure clarté... Shooter, dit-on !
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R
Je retrouve un point commun dans les trois textes déjà publiés : la souffrance. C'est curieux que cette vidéo nous est inspiré ce sentiment...Bravo pour ce texte !
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