Pierre Pelot Natural killer : a compulsive novel.

Publié le par magali duru

 


Pierre Pelot, c'est comme la cathédrale de quelque ville inaccessible sur un continent englouti. On peut vivre et mourir sans jamais en avoir entendu parler, sans avoir l'occasion de la visiter. Si on se décide à faire le voyage, parce que quelque ami est revenu de l'expédition ébloui (dans mon cas, c'est Stéphane Laurent qui m'a signalé Pierre Pelot et je lui en suis reconnaissante) on ne s'en remet pas.

Auteur prolifique (200 titres et plus !), ayant touché à tous les genres, fantastique, noir, aventures, littérature jeunesse, ce Victor Hugo de notre époque (pour la fécondité, l'imagination, la poésie, le goût de l' « énorme ») ne fait pas partie en effet de ces écrivains dont le nom « dit quelque chose » à la France entière. On a ainsi la délicieuse impression en le lisant de partager quelque secret, d'entrer dans une élite de happy few. Ne sachant par où commencer je m'en suis fiée au hasard de la bibliothèque municipale la plus proche. Je n'aurais pu faire meilleure pioche qu'avec ce somptueux Natural killer, publié par Vertiges publications en 1985 et repris chez Rivages en 2000, collection Rivages-Noir.

Le narrateur de Natural killer est un écrivain qui vit en Moselle. « Ecrivain, donc dépressif » dit malicieusement en 4° de couverture François Guérif. Un soir d'hiver débarque du petit train local un jeune homme qui veut absolument le rencontrer. C'est un lecteur tellement passionné qu'il a lu TOUS ses livres, soit deux bonnes centaines et cette précision montre le lien intime entre le narrateur écrivain et l'auteur. Le face à face entre les deux hommes tient du roman noir (pas une minute on imagine qu'une telle histoire puisse se terminer autrement que par un meurtre, mais qui sera tueur, qui sera victime ?) et du western (remplacez le soleil de la Vallée de la Mort par les cruautés de l'hiver mosellan) avant de tourner à la vraie-fausse apocalypse. Dans le huis-clos d'une maison où tout va à la dérive, à l'image de cet homme blessé, torturé, drogué, halluciné, bukowskien, va se jouer un drame pur et terrible. Le drame intime d'un écrivain déchiré entre les aléas du quotidien et la force impérative de ses fantasmes, rongé par la culpabilité et le sentiment de faillir à ses proches délaissés, mais que Pelot élève à la hauteur d'une tragédie. Lente, pesée, digressive, la narration semble suivre une trajectoire sans détours, mais le conteur de génie qu'est Pelot sait ménager au lecteur estourbi une surprise finale de taille, pourtant d'une logique implacable.

Ce roman de la solitude et de la communication impossible est aussi comme ailleurs chez Pelot, un grand, un très grand roman de l'hiver. Toutes les pages décrivant la rituelle déambulation nocturne de l'écrivain insomniaque qui arpente la montage par moins 20 degrés sont sublimes de poésie. Comme Vigneault, Pelot pourrait chanter :

Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver
Mon refrain ce n'est pas un refrain, c'est rafale
Ma maison ce n'est pas ma maison, c'est froidure
Mon pays ce n'est pas un pays, c'est l'hiver.

Mais chez lui, l'hiver (que j'ai retrouvé dans Les Ombres des Voyageuses, pourtant flamboyant roman de piraterie dont les trois quarts se passent dans les Caraïbes et en Lousiane) est un héros à part entière, fascinante figure du Destin, qui façonne l'écrivain autant qu'il l'enserre, l'emprisonne et menace de l'engloutir.

L'hiver me coulait dans les veines, y charriant un froid total et si parfait qu'il en brûle : un froid différent de celui qui avait pris possession de tout, mangeait tout.

Je marchais, accompagné par l'ombre que dessinaient les étoiles à mes pieds... A un moment, je me suis immobilisé. Mains dans les poches de mon blouson aux doublures froissées, les doigts serrés en poings, comme des nœuds, j'ai regardé, j'ai écouté l'hiver alentour, l'hiver aussi figé que je pouvais l'être. L'hiver pétrifié en plein repas. C'était cela, l'exacte impression ressentie : ce sacré hiver en train de bâfrer et qui, pour quelque mystérieuse raison connue de lui seul, avait suspendu sa mastication d'une bouchée ; qui hésitait : avaler ou recracher ?

   

Publié dans Lector in fabula

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
Oui, Alain, "Méchamment dimanche" est un excellent roman. Pour ma part, j'ajouterais "Le méchant qui danse" (époustouflant roman noir), "La forêt muette" (un roman d'ambiance étouffant et à la limite du fantastique) ou encore "L'été en pente douce" (qui a été adapté au cinéma dans les années 1980 avec Bacri, Villeret et Pauline Laffont). Bonne lecture, Magali...
Répondre
M
<br /> Merci, Stéphane et Alain.<br /> Je note!!!!<br /> Pour sûr, "Méchamment dimanche", cela devrait me plaire...<br /> <br /> <br />
A
J'ai beaucoup aimé ce roman. Pierre Pelot est quelqu'un de passsionnant. Je l'ai entendu plusieurs fois à St Malo.Beaucoup aimé aussi : Méchamment dimanche, c'est ainsi que les hommes vivent..
Répondre
M
<br /> Alain, quelle chance d'habiter au bon endroit!<br /> <br /> D.K et Amatou, ne retardez plus l'embarquement... Même si, les fanatiques de Pelot l'admettent eux-mêmes, il y a, sur les 200 livres qu'il a écrits forcément un peu de déchet, il en reste encore<br /> beaucoup d'excellents à découvrir et la traversée sera longue...<br /> <br /> <br />
A
De la corrida nîmoise où l'on se croit poursuivi par le taurillon à Pierre Pelot, l'halluciné , le fantastique envoûteur, ce sont deux magnifiques invitations au Voyage! Je vais m'embarquer pour Pelot et remettre Nîmes à l'été !
Répondre
M
<br /> Sûr que si tu fais dans l'autre sans tu vas attraper un chaud et froid...<br /> <br /> <br />
D
Je croise de temps à autre le nom de Pierre Pelot, mais je ne l'ai pas encore lu. Ce billet me confirme qu'au lieu de lui tourner autour, je ferais mieux de tourner ses pages !
Répondre